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Liberté d’établissement : comment un médecin belge a fait plier la loi française

  • samydjemaoun
  • 4 juin
  • 6 min de lecture

L’affaire de mon client illustre parfaitement la puissance normative du droit de l’Union européenne face aux législations nationales.


Liberté d’établissement

Par une plainte déposée par mon client à la Commission européenne et l'ouverture d'une procédure d'infraction à l'encontre de la France (en parallèle des saisines ordinales et du Conseil d'État), le législateur français a été contraint d'abroger une disposition du Code de la santé publique contraire aux libertés garanties par les traités européens. C’est une victoire discrète mais décisive pour la liberté d’établissement des praticiens européens en France.


L’histoire de mon client, médecin belge formé à Paris et exerçant également aux États-Unis, illustre à quel point le droit européen peut contraindre le droit national à se conformer.


Ce récit met en lumière les tensions entre la législation française et les principes européens de liberté d’établissement, et montre comment l’intervention de l’Union européenne a permis de lever une barrière illégale à l’exercice de la médecine en France.


1. Le cas emblématique d’un médecin européen empêché d’exercer en France


Mon client, médecin belge, formé à Paris et exerçant également aux États-Unis, souhaitait revenir en France pour y pratiquer comme médecin remplaçant. Il avait déjà été inscrit à l’Ordre des médecins de Paris en 1997 et détenait les diplômes français nécessaires.

Lorsqu’il sollicite son inscription au tableau de l’Ordre des Yvelines, sa demande est rejetée au motif qu’il est inscrit au Tableau de l'ordre des médecins d'un État tiers — en l’occurrence les États-Unis — ce que prohibait alors le dernier alinéa de l’article L. 4112-1 du Code de la santé publique.


Ce texte interdisait ainsi la double inscription aux médecins inscrits hors de l’UE ou de l’EEE, leur imposant de renoncer à leur inscription étrangère pour pouvoir exercer en France.


2. Une loi française en contradiction avec le droit de l’Union


Cette interdiction constitue une restriction injustifiée à la liberté d’établissement des ressortissants européens. Elle méconnaît :


Les dispositions européennes en jeu :


• Articles 45, 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : garantissent la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation de services pour tous les ressortissants de l’Union.


• Article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (CDFUE) : garantit la liberté professionnelle et le droit de travailler.


• La jurisprudence européenne constante : la Cour de justice de l’UE (CJUE) juge que les restrictions d’accès à une profession dans un État membre ne peuvent être justifiées que par des raisons impérieuses d’intérêt général et doivent être proportionnées. À ce titre, il est particulier intéressant de souligner que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE devenue CJUE) avait jugé, à propos de la double inscription des médecins de l’Union européenne  "qu’en imposant aux médecins et aux praticiens de l’art dentaire établis dans un autre État membre la radiation d'inscription ou d ' enregistrement dans cet autre État membre pour pouvoir exercer leur activité en France comme salarié, sous forme d’établissement de cabinet ou sous forme de remplacement, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 , 52 et 59 du traite. » (CJCE, 30 avril 1986, Commission c/ France, 96/85) : CJCE, 30 avril 1986, Commission contre France, n°96/85).


En tant que médecin belge et citoyen de l’Union européenne, mon client est protégé par les libertés fondamentales garanties par le TFUE (articles 20, 21, 45, 49, 56) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union (article 15). Sa demande d’inscription au tableau de l’Ordre des médecins français a été refusée au motif qu’il était déjà inscrit aux États-Unis (hors UE/EEE), en application stricte de l’article L.4112-1 du code de la santé publique.


Or, la double inscription est permise pour les médecins européens depuis la réforme française de 2009, mais pas encore pour ceux inscrits dans un État tiers. La jurisprudence européenne (CJUE) et le TFUE affirment pourtant qu’un professionnel peut invoquer ses droits même si son activité principale est hors de l’UE, dès lors qu’il existe un lien suffisant avec l’Union (comme dans le cas de mon client).


Le refus d’inscription, fondé sur un principe d’unicité d’inscription, est disproportionné et injustifié au regard du droit européen. Il ne tient pas compte des évolutions médicales (consultations à distance, cabinets de groupe) et méconnaît les libertés fondamentales, notamment la liberté de circulation, d’établissement et de prestation de services.


3. Un silence des autorités ordinales


Tout comme le conseil départemental de l’ordre des médecins des Yvelines et le conseil régional de l’ordre des médecins, le Conseil national de l’ordre des médecins était expressément saisi de la méconnaissance des articles 45, 49 et 56 du TFUE de la règle d’unicité d’exercice prévue à l'article L. 4112-1 du code de la santé publique, s’agissant de la situation d’un médecin ressortissant de l’Union européenne non inscrit dans un État membre mais souhaitant s’y inscrire tout en conservant une inscription au sein d’un ordre des médecins d’un État-tiers.


Aucune des instances ordinales n'a expliqué en quoi la législation française respectait le droit de l’Union européenne. Le Conseil national de l’ordre des médecins s’est même abstenu de répondre à ce moyen.


La formation restreinte du Conseil national de l’Ordre des médecins n’a pas exercé son contrôle de conventionnalité in concreto des disposition de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique au regard des articles 20, 21, 49 et 56 du TFUE, et 15 de la CDFUE, alors pourtant qu’elle en avait l’obligation (CE, 30 juillet 2003, Association « Avenir de la langue française », n° 245076 : au Lebon ; CE, 27 juillet 2006, n° 281629 : au Lebon)


4. L’intervention décisive de la Commission européenne


Devant ce refus persistant, une plainte a été déposée, en parallèle par mon client, auprès de la Commission européenne qui a a ouvert une procédure d’infraction contre la France pour non-conformité de la loi française et plus spécifiquement l'article L. 4112-1 du code de la santé publique avec le droit européen.


Une lettre de mise en demeure envoyée par la Commission à la France.


Le législateur a, par l’article 38, paragraphe 1, de la loi n° 2025-391 supprimé le dernier alinéa de l’article L. 4112-1 du Code de la santé publique.


Cette modification de l’article L. 4112-1 du Code de la santé publique, supprime l’obstacle juridique qui empêchait des médecins européens inscrits dans un État tiers d’être aussi inscrits en France.

Ce changement, arraché par le biais du contentieux européen, met fin à une discrimination injustifiée et ouvre la voie à une reconnaissance plus souple et conforme au droit de l’Union pour les praticiens.


5. Une victoire juridique, malgré une fin contentieuse incertaine


Devant le Conseil d’État où l'instance contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'Ordre des médecins est encore pendant, quelle sera l'influence de cette modification législative ?


Le litige conserve-t-il un objet ?


En excès de pouvoir, l’abrogation d’un acte en cours d’instance ne prive d’objet la requête tendant à son annulation qu’à la condition que cet acte n’ait produit aucun effet juridique avant son abrogation par un acte devenu définitif (CE, Assemblée 12 décembre 1953, Union nationale des associations familiales, n°16479 ; CE, Assemblée 12 décembre 1953, Union nationale des associations familiales, n°16479 ; CE, 6 mai 1985, Commune du Pellerin, n° 16722).


S'agissant d'une validation législative, le Conseil d'État a déjà admis des validations implicites, ayant conduit à un «non-lieu législatif », ou à constater que l’illégalité invoquée avait disparu, rendant le moyen soulevé inopérant. La validation législative a été retenue que lorsqu’elle était la conséquence nécessaire de la loi (CE, Assemblée 12 décembre 1953, Union nationale des associations familiales, n°16479) et qu’elle comportait une dimension rétroactive (CE, 7 décembre 1962, Fédération générale des fonctionnaires C.G.T., F.O. et Union générale des fédérations de fonctionnaires, n°54979-55024).


En l'état de la jurisprudence, il apparaît que le Conseil d'État devra statuer sur le litige dès lors que la décision de refus d'inscription au Tableau de l'Ordre des médecins constitue un commencement d'exécution et que l'abrogation de la loi n'a, par construction, qu'un effet pour l'avenir.


L’affaire de mon client illustre la capacité du droit européen à protéger la liberté professionnelle et la mobilité des praticiens au-delà des frontières. Grâce à son combat, soutenu par une procédure d’infraction européenne, le législateur français a été contraint de réviser une législation contraire au droit de l'Union européenne. Ce précédent marque une étape importante vers une reconnaissance plus juste et plus conforme aux principes de l’Union européenne, et démontre que le droit européen, loin d’être abstrait, peut avoir un impact concret et décisif sur les carrières et les parcours des professionnels.


"Liberté d’établissement : comment un médecin belge a fait plier la loi française"

 
 
 

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