6 ans, malade, à la rue : l’OFII ne voit pas le problème, le juge condamne en quelques heures – l'OFII héberge une nuit puis les remet volontairement à la rue pour 4 nuits
- samydjemaoun
- il y a 20 minutes
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C’est l’histoire d’une enfant de six ans…
Atteinte d’une maladie chronique.
Demandeuse d’asile.
À la rue.
En plein hiver.
Avec sa mère.

Oui, en 2025, en France, une enfant malade dort dans une cage d’escalier. Et l’administration estime qu’il n’y a « pas d’urgence ».
Une condamnation en un temps record
Je ne compte plus les condamnations que j’obtiens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).
Avec le temps, elles finissent par se ressembler.
Mais celle-ci dit tout : l’ordinaire du pire, devenu normal, donc toléré.
Et c’est précisément pour cela qu’elle est inacceptable.
Le juge, contrairement à l'OFII, comprend l’urgence en deux minutes.
Tout s'est passé en une seule journée.
Audience fixée le matin
Plaidoirie l’après-midi.
Ordonnance rendue deux heures après.
Quand la réalité est aussi crue, la justice peut répondre à la même vitesse que la détresse.
L’entretien OFII : tout était su, tout était écrit noir sur blanc
28 novembre, entretien de vulnérabilité :
« Madame déclare que sa fille et elle-même n’ont pas d’hébergement fixe et qu’elles dorment dans une cage d’escalier à L’Haÿ-les-Roses. »
Une cage d’escalier.
Une enfant de 6 ans.
Une maladie chronique.
Et pourtant :
pas d’hébergement fourni. Rien.
Silence de l'OFII.
Dans ses écrits devant le juge, l’OFII persiste :
« pas d’urgence ».
Mieux encore : « Les intéressées n’ont fait état d’aucun problème de santé ».
En somme, une inhumanité assumée.
Le 115 ? Un paravent, une échappatoire commode
Quand l’OFII ne peut plus prétendre qu’il n’y a « pas d’urgence », il dégaine un autre classique :
« Elles n’avaient qu’à appeler le 115. »
Comme si le 115 – saturé, aléatoire, décroché une fois sur dix – pouvait remplacer les obligations légales de l’OFII.
Comme si appeler le 115 tous les soirs suffisait à sortir une enfant malade d’une cage d’escalier.
L'OFII avait déjà tenté l'argument dans un de mes dossiers et le juge avait pourtant déjà répondu :
« Le recours au 115 ne saurait dispenser l’OFII d’assurer ses obligations (…) particulièrement lorsqu’il s’agit d’enfants en bas âge. » (TA Paris, 18 février 2024, n°2303400)
Autrement dit :
on ne se défausse pas sur le 115,
l’hébergement des demandeurs d’asile est une compétence première de l’OFII,
et encore moins lorsqu’une enfant de 6 ans dort dehors
Face au juge : la contradiction en direct
Devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun, l’OFII maintient d’abord sa ligne :
aucun problème,
aucune urgence,
rien ne justifie d'héberger une enfant de 6 ans dans la rue.
Position inhumaine, mais assumée sans trembler.
Et pourtant – dans le même mémoire, littéralement quelques lignes plus loins – l’OFII ajoute qu’il va « incessamment sous peu » convoquer la famille pour lui octroyer les conditions matérielles d’accueil
... tout en précisant qu'elle sera hébergée du 4 au 5 décembre 2025.
Donc :
pas d’urgence à héberger une enfant de six ans à la rue,
mais une prise en charge qui serait… imminente.
L'OFII capable, dans la même phrase, de nier la détresse et de promettre une solution.
Cet écart-là, la défense de l’OFII le connaît par cœur.
Le juge a dû contraindre l’OFII… en reformulant lui-même son engagement.
Devant ce grand écart permanent, le juge doit reformuler lui-même les déclarations de l’OFII pour leur donner un sens juridique (et humain).
L'ordonnance est limpide.
Le juge considère que l’OFII doit être entendu comme s’engageant à fournir un hébergement pérenne à compter du 4 décembre :
« Il résulte de ces indications que l’Office doit être nécessairement entendu comme ayant mis en œuvre son obligation de fournir de manière pérenne un hébergement à la jeune K. et à sa mère à compter du 4 décembre 2025, le temps de l’examen de la demande d’asile de la jeune K. Sous cette réserve, il n‘y a donc plus lieu de statuer sur la requête de Madame D. en tant qu’elle demande qu’il soit fait injonction à l’Office français de l’immigration et de l’intégration de lui procurer un hébergement. »
Autrement dit :
Vos contradictions ne vous sauveront pas.
Vos promesses vous engagent.
L'allocation pour demandeur d'asile : encore la même illégalité
Sur l’allocation, même scène, même discours, même illégalité.
L’OFII refuse de verser l’ADA aux mineurs seuls en demande d'asile (en raison d'un «problème technique ») et exige un RIB.
J'avais déjà fait trancher la question puisque l'OFII m'avait fait le même coup :
« En refusant d’octroyer l’allocation au seul motif de l’absence de RIB, l’OFII méconnaît l’article D. 553-18. » (TA Paris, 19 mars 2024, n°2302760).
J'avais déjà fait expressément condamné l'OFII en référé pour avoir exigé un compte CARPA de l'avocat : TA Paris, réf. 20 février 2023, n°2302800. L'OFII a fait un pourvoi qui a été rejeté en PAPC par le Conseil d'État (CE, 18 décembre 2023, n°471885).
L'OFII ne peut exiger un RIB d'un demandeur d'asile pour verser l'ADA.
Point.
Le juge rappelle d’ailleurs la vulnérabilité particulière de la situation, en pleine période hivernale, et caractérise :
« une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ».
Dans les 48 heures, l’OFII doit :
délivrer les conditions matérielles d’accueil,
verser l’ADA.
Quelques heures plus tard…
Je reçois un courriel de l'OFII.
L'OFII me demande… un RIB. Le juge avait pourtant été clair :
« En conditionnant le versement de l’allocation de demandeur d’asile à la jeune K. à l’obligation pour sa mère de présenter un relevé d’identité bancaire, ce qu’il lui est matériellement impossible de faire, ne disposant d’aucun compte bancaire et ne pouvant en ouvrir un faute de domicile stable, la privant ainsi du bénéfice de cette allocation, alors qu’elle est dépourvue de toute ressource, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a méconnu les dispositions précitées de l’article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et en particulier au droit d’asile qui implique une protection des demandeurs d’asile. »
Et le juge d’enjoindre :
« Verser l’allocation dans un délai de deux jours, sous astreinte de 100 euros par jour. »
Je rappelle à l'OFII sa condamnation concernant la demande de RIB;
DONC (logique de l'OFII), il m'est demande un compte CARPA (en bref, un RIB délivré par l'ordre des avocats pour percevoir les honoraires)... pour que je perçoive l'ADA et que je le redistribue à la famille...
Non seulement, juridiquement, c'est interdit mais surtout, un avocat n'est pas le collaborateur occasionnel du service public, et sûrement pas de l’OFII. On comprend donc que l'OFII demande à des avocats de faire son travail.
Le 4 décembre, une nuit au chaud. Du 5 au 9, la rue : une décision volontaire de l’OFII
Le 4 décembre au soir, l’OFII héberge la famille.
Une nuit.
Une seule.
Le 5 décembre au matin : convocation.
On fait signer une « proposition d’hébergement ».
Mais la famille n’est pas hébergée.
Le 5 décembre après-midi : l’OFII m’écrit pour les reconvoquer le 9 décembre.
Je demande immédiatement :
L’hébergement provisoire est-il maintenu jusqu’au 9 ?
Silence. Aucune réponse.
Résultat :
la famille dort de nouveau dans la cage d’escalier,
et dormira jusqu’au 9 décembre (date de sa nouvelle convocation à l'OFII) dans la même cage d’escalier que l’OFII connaissait depuis le 28 novembre.
Tout était écrit.
Tout était su.
Et pourtant, rien.
Je vais donc ressaisir le juge, dès ce samedi, pour lui démontrer que l’OFII n’a pas respecté son engagement… et qu’il lui a menti.
Ce n’est pas un cas isolé
Je pourrais en citer des dizaines d'affaires identiques :
des enfants à la rue,
des nuits d’hôtel distribuées au compte-gouttes,
des engagements de dernière minute,
des condamnations répétées.
Pendant ce temps :
Des enfants dorment dehors.
Et vont à l’école le matin.
Et une administration affirme, en audience, qu’il n’y a « pas d’urgence ».
Je continuerai
Je continuerai.
Parce qu’après une condamnation, on ne remet pas volontairement une enfant malade dans une cage d’escalier.
Parce que tant qu’il faudra des audiences pour rappeler l’évidence la plus élémentaire, j’y serai.
Parce que la justice ne peut pas être un simple passage obligé permettant à l’OFII d’offrir une nuit d’hébergement pour mieux renvoyer ensuite une famille à la rue.
On ne remet pas des enfants dehors.
Ni après une condamnation.
Ni après une audience.
Jamais.
Avocat au barreau de Paris




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