La méthode OFII : retarder l’exécution des jugements jusqu’à la condamnation, au détriment des familles
- samydjemaoun
- 18 sept.
- 6 min de lecture

Elle a 31 ans. Elle s’appelle Madame B.
Elle est arrivée de Guinée en août 2024. Elle a fui des violences sexistes et sexuelles. Elle vit seule avec sa petite fille, née à Paris en septembre 2024.
En avril 2025, elle a demandé l’asile pour elle et sa fille de 11 mois. Comme toute demandeuse d’asile, elle devait bénéficier des conditions matérielles d’accueil : un hébergement et l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). C’est la loi.
Mais le 26 mai 2025, l’OFII a décidé de couper tout. Plus d’ADA. Plus de ressources. Sa fille de 8 mois a même été hospitalisée après avoir bu de l’eau impropre dans un gymnase transformé en centre d’hébergement.
Le 8 juillet 2025, j'obtiens l'annulation par le tribunal administratif de Paris de la décision de l’OFII. Le juge a ordonné le rétablissement de ses droits, dans un délai d’un mois. Le juge retient :
« Si Mme B avait bénéficié des conditions matérielles d’accueil qu’elle avait acceptées, l’interruption du bénéfice de ces conditions, en application des dispositions de l’article L. 551-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est intervenue de plein droit en raison de son transfert vers le pays responsable de sa demande. Mme B est revenue en France et a déposé une nouvelle demande d’asile pour sa fille le 24 avril 2025. Par suite, Mme B ne bénéficiant plus des conditions matérielles d’accueil en France, il appartenait au directeur de l’OFII, non pas d’y mettre fin, mais de déterminer si, de retour en France pour y solliciter l’asile, elle pouvait bénéficier à nouveau de ces droits, en application des dispositions de l’article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort en outre des pièces du dossier que la requérante est hébergée avec sa fille âgée de huit mois dans un gymnase avec plus de 200 personnes, dans des conditions sanitaires et sociales dégradées en raison d’une extrême promiscuité des lieux avec une quantité d’eau limitée et rationnée, ainsi qu’une climat d’insécurité et de violence. Il suit de là que Mme B est fondée à soutenir que le directeur de l’OFII, en décidant de lui retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil en application des dispositions de l’article L. 551-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entaché sa décision d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de la situation personnelle de la requérante et de sa fille.
Un mois passe. Rien ne vient.
L’intervenante sociale écrit, relance, insiste. Réponse de l’OFII : « Madame doit patienter. »
Alors que fait l’OFII pour se justifier devant le juge des référés, saisi en urgence ?
Il brandit son excuse phare : la panne informatique.
« Après étude du dossier, un problème d’ordre informatique empêchant la reprise des versements a été constaté. »
Un problème qui, par hasard, aurait duré près de deux mois… et qui aurait été miraculeusement « résolu » la veille de l’audience. Et pourtant, le même courriel précise que le versement n’interviendrait qu’au plus tôt à la seconde quinzaine de septembre 2025, soit plus d’un mois et demi après le délai fixé par le jugement.
La juge des référés ne s’y est pas trompée. Le 29 août 2025, elle a tranché :
« Si l'Office français de l'immigration et de l'intégration fait valoir en défense qu’un problème informatique indépendant de sa volonté l’a empêché de verser l’allocation pour demandeur d’asile à la requérante et que ce versement devrait intervenir à partir du 16 septembre 2025, il n’est pas contesté par l'Office français de l'immigration et de l'intégration que le jugement du 8 juillet 2025 n’a pas été entièrement exécuté dans le délai d’un mois imparti par le magistrat désigné. Or, une telle situation porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par Mme B. Par suite, il y a lieu d’enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au versement effectif de l’allocation pour demandeur d’asile à Mme B dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.»
Elle a enjoint à l’OFII de verser l’allocation dans les 72 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Une excuse déjà utilisée ailleurs
Ce n’est pas la première fois que l’OFII se cache derrière des « dysfonctionnements informatiques » ou des « incidents techniques » pour expliquer sa non-exécution d'une décision de justice ou pour éluder ses responsabilités.
1. Une mère et ses cinq enfants mineurs
21 juillet 2022 (TA Paris, réf., n°2215037) : le juge des référés du TA de Paris ordonne à l’OFII de verser l’ADA.
17 octobre 2022 (TA Paris, réf., n° 2220965) : faute de paiement complet, le juge réitère l’injonction, ordonnant le versement du solde, dans un délai de 15 jours.
12 décembre 2022 (TA Paris, réf., n° 2223959) : nouvelle saisine. L’OFII invoque cette fois une « erreur de traitement ». Le juge ordonne encore le versement, sans astreinte.
2. Un argument déjà rejeté par le juge
TA Paris, réf., 7 février 2023, n°2302243 : le juge avait déjà désavoué l’argument. L’OFII invoquait une « erreur de traitement » et des « dysfonctionnements informatiques » pour ne pas avoir versé les sommes dues. Le tribunal avait constaté que, malgré ces justifications, l’ordonnance précédente n’avait pas été exécutée.
3. Un nourrisson malade et ses parents
11 janvier 2024 (TA Paris, réf., n° 2400533) : le tribunal avait ordonné à l’OFII d’accorder immédiatement un hébergement en Île-de-France (en raison du suivi médical du bébé de 5 mois) et l’allocation ADA.
18 janvier 2024 (TA Paris, réf., n° 2401039) : face à l’inaction de l’Office, une seconde ordonnance est intervenue, cette fois sous astreinte de 100 €/jour de retard.
16 août 2024 (TA Paris, réf., n° 2421522) : six mois plus tard, l’inexécution perdure ; le juge double l’astreinte à 200 €/jour.
4. Multiplication des retards
20 août 2024 (TA Paris, réf., n° 2421890) : e juge a encore rappelé à l’OFII son obligation d’exécuter sans délai les injonctions relatives à l’allocation ADA.
5. Liquidation d’astreinte
19 février 2025 (TA Paris, réf., n° 2504022) : le juge avait enjoint l’OFII de verser l’ADA à M. L dans un délai de 48 heures, sous astreinte de 200 €/jour.
25 avril 2025 (TA Paris, réf., n° 2511079) : faute d’exécution, le juge a liquidé l’astreinte à 1 000 €, sanctionnant une nouvelle fois la résistance de l’Office.
6. « Versement prochain » : un refrain bien connu
23 avril 2025 (TA Paris, réf., n° 2510711) : même scénario. L’OFII expliquait que l’allocation « serait prochainement versée ». Le juge a considéré que cela ne suffisait pas et a ordonné un versement dans les 72 heures.
7. Blocage du compte d’Utopia 56 avec toujours la même excuse "incident technique" :
Le 17 janvier 2024, l’association publie sur X (ex-Twitter) des échanges de travailleurs sociaux pour illustrer la réalité du terrain. Réaction de l’OFII : blocage pur et simple du compte. Déjà coutumier de la pratique, son directeur général assume publiquement ces censures. Saisi, le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 4 avril 2025, n°2401152) avait écarté l’argument d’un prétendu « incident technique » – sans preuve, auto-fabriqué par l’OFII – et juge qu’il s’agissait bien d’un blocage délibéré d’une critique légitime.
Autrement dit : ce n’est pas un accident, c’est une habitude.
Et après ?
Madame B et sa fille n’avaient toujours pas reçu l’ADA.
Elle a donc dû saisir une troisième fois le juge, demandant l’exécution de l’ordonnance du 29 août 2025 sous astreinte portée à 550 € par heure de retard, et la liquidation de l’astreinte déjà prononcée.
La veille de l’audience, miracle : l’OFII s’est enfin exécuté.
Après trois saisines du tribunal administratif de Paris (dont deux uniquement pour contraindre l’Office à respecter un jugement définitif), l'OFII s’est finalement pliée aux injonctions.
Un soulagement pour Madame B., certes. Mais une résistance de l’OFII qui, pour rester mesuré, demeure profondément regrettable.
Le vrai enjeu
Madame B. n’avait jamais demandé la lune. Ce qu’elle réclamait, c’est l'exécution d'une décision de justice afin d'avoir de quoi nourrir sa fille de 11 mois.
Les notes sociales étaient claires :
« L’absence totale de revenus rend leur situation très préoccupante, notamment pour subvenir aux besoins quotidiens. Mme B rencontre actuellement de grandes difficultés pour fournir du lait à sa fille. »
Face à cette précarité extrême, l’argument de la « panne informatique » fait sourire jaune. Il illustre une mécanique : retarder, gagner du temps, au prix de la dignité des personnes.
Ici, la justice a réparé. Mais combien d’autres attendent encore ?
Avocat au barreau de Paris




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