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Trois jours. Trois mètres carrés. Dix ans.

  • samydjemaoun
  • 1 août
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 17 août

Il s’appelle K.

Il a 10 ans.

Il a été enfermé comme un adulte.

Oublié comme un enfant.


La cour inaccessible aux enfants placés à la zone d'attente d'Orly
La cour inaccessible aux enfants placés à la zone d'attente d'Orly

Le 28 juillet 2025, il atterrit à Orly pour retrouver sa famille.

Sa mère est en séjour régulier. Son père aussi.

Ses trois petits frères l’attendent. Sa sœur, reconnue réfugiée, également.

 

Mais à la frontière, ce n’est pas sa famille qui l’accueille. C’est la zone d’attente. Et c’est la France des droits de l’Homme qui décide de l’enfermer.

 

Trois jours de privation de liberté.

Trois jours d’isolement.

Trois jours d’illégalité.

Trois jours de traumatisme.

 

Avant que je réussisse à le faire libérer.


La zone d’attente et une cellule de 3m2 pour des enfants

 

La zone d’attente n’a rien d’une salle d’attente.

C’est un lieu d’enfermement.

Et pour les enfants, c’est encore plus violent et traumatique.

 

Dans une attestation, l’administratrice ad hoc désignée par le procureur décrit sans détour les conditions réservées aux mineurs :

 

« Si la salle constituant la zone d’attente est plutôt grande, les enfants y sont confinés dans un espace extrêmement réduit (environ 3 m²) du fait de l’interdiction d’être accueillis avec les adultes. »

 

L'espace "enfant" de la zone d'attente d'Orly
L'espace "enfant" de la zone d'attente d'Orly

Un simple paravent pour les séparer des majeurs.

La cour n’est pas accessible aux enfants, car réservée aux majeurs. Pas d’air libre, pas d’activités.

Un écran allumé en continu, des chips, du jus, des plats industriels.

 

« Ces conditions semblent complètement incompatibles avec les besoins physiologiques d’un enfant, notamment d’un enfant de l’âge de Karamoko ayant nécessairement besoin de se dépenser. »

 

Chaque matin, les enfants sont réveillés avant 6h, conduits dans cet espace clos, sans air, sans lumière naturelle, sans activité.

 

« Le coin réservé aux mineurs est équipé de quelques jeux et livres pour enfants, et diffuse en permanence la télé, allumée, avec des dessins animés et des publicités non spécifiquement adaptés (…). »

 

« Ils passent ensuite toutes leurs journées dans ce très petit espace, sans possibilité de se mouvoir. »

 

Jusqu’à 21h, ils restent là.

Chips, compotes, écrans : voilà le quotidien qu’on propose à un enfant de 10 ans, à qui l’on refuse même de bouger.

 

« Recroquevillé sur lui-même, apeuré, ne répondant quasiment pas »

 

L’administratrice ad hoc décrit un enfant replié, mutique, désorienté, confronté à un environnement inadapté et anxiogène : un espace de 3 m², clos, sans lumière naturelle, avec une télévision allumée en continu à quelques mètres de lui.

Un enfant seul, enfermé depuis des heures, sans repères, sans possibilité de mouvement, sans activité.

 

Elle l’a vu, le 28 juillet.

Prostré. Silencieux. Déconnecté de tout.

Sans extérieur. Sans interaction.

 

Même la visite de sa mère n’échappe pas à la logique d’enfermement.

Les policiers refusent qu’ils se retrouvent dans la grande salle réservée aux adultes.

Prétexte : il est mineur, il doit rester dans l’espace qui lui est assigné.

 

Ils sont donc confinés ensemble dans les 3 m² réservés aux enfants.

Un espace pensé pour l’isolement, pas pour le lien.

Pas un geste d’apaisement.

Pas une once d’humanité.

Juste un protocole, aveugle. Appliqué sans discernement.

 

Libéré par le juge, la police refuse de le remettre à ses parents. La procureure intervient.

 

Le 31 juillet, le juge des libertés et de la détention de Créteil rappelle un principe élémentaire : un mineur a droit à un administrateur ad hoc dès le début de la procédure. Pas 14 heures plus tard.

 

« Le mineur est resté près de 14h00 après son arrivée sans pouvoir exercer ses droits faute d’un administrateur ad hoc à ses côtés.

Un tel délai est excessif et constitue une atteinte à ses droits au sens de l’article L. 342-9 du CESEDA.

C’est la raison pour laquelle la procédure doit être déclarée irrégulière. »

(TJ Créteil, 31 juillet 2025, n° RG 25/00341)

 

Le juge constate la nullité de la procédure. Il ordonne la libération immédiate de l’enfant.

 

Mais la PAF tente de le placer en foyer. C’est la procureure de permanence qui, in extremis, impose qu’il soit rendu à ses parents.

 

Rien ne change. Sauf les prénoms.

 

L'enfermement des enfants en zone d'attente, c'est une pratique. Et elle est assumée.

 

En septembre 2024 (CA Paris, 16 septembre 2024, n° 24/04244), une enfant de 12 ans est resté seul, enfermé pendant 11 heures dans la zone d’attente d’Orly, sans administrateur ad hoc.

J’ai saisi le juge. Elle a été libérée.

 

En octobre 2024 (TA Melun, 23 octobre 2024, n°2413000), une française de 11 ans a été retenue dans la même zone, dans les mêmes conditions, dans la même inhumanité.

J’ai plaidé. Elle est sortie.

 

En novembre 2024 (TJ Bobigny, 1er novembre 2024, n°24/08909) : un enfant de 13 ans. Arrivé à Roissy pour fêter son anniversaire avec sa mère. Placé seul en zone d’attente, sans représentant légal, dans une chambre infestée de punaises, fenêtres condamnées, repas insuffisants.

Le ministère a refusé de désigner un administrateur ad hoc parce que sa mère (en jour régulier) était restée avec lui.

J’ai déposé le recours. Il a été libéré la veille de son anniversaire. Il a pu souffler ses bougies en famille.

 

Et le 31 juillet 2025 (TA Melun, réf., 31 juillet 2025, n°2510828) : K. 10 ans. Trois jours dans 3 m².

Une détresse évidente. Une irrégularité manifeste

Le juge a reconnu l’irrégularité. Et c’est la procureure qui, in extremis, a imposé qu’il soit rendu à ses parents, malgré la résistance de la PAF.

 

À chaque fois, la même logique.

À chaque fois, il a fallu aller au contentieux.

Et à chaque fois, j’ai obtenu leur libération.

 

Il a fallu 11 condamnations de la France par la CEDH pour interdire la rétention des mineurs en métropole. Combien en faudra-t-il encore pour interdire le placement des enfants en zone d’attente ?

 

D’ici là, je continuerai.

 

Parce qu’un enfant ne se défend pas seul.

Parce qu’aucun d’eux ne devrait attendre derrière une frontière.

Et parce qu’à chaque fois, c’est la même mécanique.

La même indifférence.


J’ai défendu K. pro bono (gratuitement), comme tant d’autres avant lui, parce que l’argent ne doit jamais être un rempart entre un enfant et la justice. Parce qu’aucun enfant ne devrait affronter seul une frontière, ni la mécanique brutale de l’enfermement administratif. Et j’invite mes consœurs et confrères à en faire autant, partout où le droit recule et où l’humanité vacille.


Avocat au barreau de Paris

 
 
 
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